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16/09/2010
Les sortilèges du Cap Cod – Richard Russo
« Ma chérie, le bonheur est un sport très ennuyeux pour ceux qui le regardent. »

Le bonheur est peut-être parfois ennuyeux, tout simplement, à la fois pour ceux qui le regardent et ceux qui le vivent, parce qu'un bonheur est parfois fait de choses simples, limpides, des petits riens et des grands touts qui s'accumulent au fil des jours, des mois et des années. Sous son air parfois ennuyeux un bonheur peut se révéler un bien précieux, pour peu que l'on sache le reconnaître et ne pas le laisser s'effilocher au fil du temps.
Jack Griffin, lui, ne sait plus trop s'il est heureux ou pas. Il ne sait d'ailleurs pas vraiment s'il a été heureux, enfant. Brinquebalé par des parents universitaires qui déménageaient trop rapidement pour qu'il se fasse des amis, écrasé entre une mère sarcastique aux réparties cyniques et un père plus effacé, Jack a grandi dans l'ombre de parents plus préoccupés par leur propre vie que celle de leur fils. Il a grandi, s'est marié à son tour, est devenu père. Quand son père est décédé, Jack a déposé ses cendres dans son coffre pour pouvoir les disperser dans un endroit que son père aimait particulièrement. Probablement au Cap Cod, que ses parents aimaient et où ils auraient aimé vivre, loin de leur « Midwest de merde ».
Le Cap Cod et ses sortilèges, donc, ou Richard Russo et les sortilèges d'une écriture. Sortilèges car sa plume est infiniment fluide, elle coule avec limpidité et déroule l'histoire de Jack comme un ruban que l'on s'applique à dérouler et dans lequel on pourrait s'envelopper. Un ruban que l'on lit presque religieusement, en entrant en totale empathie avec l'histoire et les personnages. Une histoire faite de regrets, de nostalgie, d'émotions à peine suggérées mais que l'on reçoit en pleine figure.
Une histoire dans laquelle un homme ne peut se résoudre à se défaire des cendres de son père et se remémore son passé. Une histoire où l'emprise de nos parents est toujours plus forte qu'on ne le pense, cette emprise qui insensiblement, bien qu'officiellement les liens aient été érodés, continue d'imprimer sa marque ineffaçable sur une vie d'adulte.
C'est l'histoire d'un homme aux prises avec son passé, aux prises avec ses doutes et ses regrets. C'est une histoire de famille, un regard en arrière qui de temps en temps fait une pause sur le présent. Une histoire où des liens indéfectibles se rongent un peu, se retissent. Une histoire où il faut savoir se défaire d'un fardeau invisible pour continuer à avancer. Transmission, choix de vie, Richard Russo égrène son roman petit à petit, distille ça et là de l'émotion, de la tendresse, du ressentiment, des regrets, sans oublier de semer de ci de là des petites pointes d'un humour toujours délicat mais respectueux, parce que l'humour doit prévaloir sur la tristesse et aide à la surmonter.
Par petites touches, Richard Russo déroule son intrigue, en y ajoutant parfois un détail qui éclaire le lecteur sur des faits et des événements qu'il n'aura pas décrits. Un peu comme dans la vie, on découvre des petites choses, on assemble les morceaux, on suit le fil et on se rend compte qu'on est totalement investi dans l'histoire, qu'on ne peut la quitter.
J'aime beaucoup ces romans qui sont à la fois des romans d'ambiance, très sensuels dans les descriptions (et très visuels aussi, Richard Russo a une écriture très cinématographique et un sens du dialogue percutant) et des romans profonds, qui proposent une dissection lucide des moeurs d'une époque.
On se régale et on en redemande.
« - Je ne voudrais pas être impoli, mais je ne crois pas avoir déjà entendu une femme de votre génération traiter quelqu'un de « chacal ».
- J'écrivais, autrefois. J'aime toujours les mots qui pétaradent. « Enculeur de mes deux » est ma locution préférée du moment, même si j'ai un peu de mal à la placer dans la conversation.
- Qu'écriviez vous ?
-Des biographies, surtout. Un poème ou deux, quand ça me prenait. « J'eus plus d'un étrange délire »...
-« Dans ma fièvre d'amour / Aux amoureux seuls j'ose dire / Ce qui m'advint un jour », termina Griffin. La vieille dame ne sembla pas surprise le moins du monde. « Mes parents étaient profs d'anglais, déclara-t-il en étouffant l'envie d'ajouter que l'un d'eux reposait dans le coffre de sa voiture. Moi aussi d'ailleurs. Et j'écris, également.
-Ha ! Pas étonnant que votre femme soit en larmes. »
L'avis de Cuné, à qui je dis un GRAND MERCI, comme d'hab.
Les sortilèges du Cap Cod, Richard Russo
Quai Voltaire, septembre 2010, 315 pages
06:02 Publié dans *Litterature Anglo-saxonne*, Rentrée littéraire 2010 | Lien permanent | Commentaires (27) | Tags : richard russo, cap cod, nostalgie, temps qui passe, histoire familiale, rentrée littéraire 2010 | |
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Commentaires
Voilà un billet qui donne envie de se précipiter sur le roman, tu en parles magnifiquement bien, comme d'hab.
Écrit par : Cuné | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireTrsè beau billet avec de très beaux mots et qui donne très envie...
Écrit par : clara | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireTon billet est superbe, il faut vraiment que je découvre ce Russo, moi !
Écrit par : Erzie, from Paris City | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireIl est des choses qui s'imposent : je n'ai pas osé vous féliciter sur votre magnifique et si clairvoyant commentaire de "Lolita" de Nabokov, mais là je dois dire qu'il ne me vient qu'une envie après avoir lu cette critique du dernier Russo (que j'adore), me précipiter chez mon libraire pour l'acheter dans la journée.
Écrit par : zeta | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireEffectivement, comment ne pas avoir envie de lire ce roman (ou, pour ceux qui sont comme moi, de découvrir Russo) après ces mots qui touchent au cœur.
Écrit par : In Cold Blog | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireton billet est tentant, j'ajoute le livre dans mon petit calepin (LAL)
;)
Écrit par : niki | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireVoilà (encore!) un roman qui a tout pour me plaire. Merci pour ton billet qui me donne bien envie de le lire ;o)
Écrit par : myrddin | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireJe sens que je vais me régaler... quand je m'y mettrais !
Écrit par : choco | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireJe ne connais pas encore Russo mais je viens de recevoir le livre dont tu parles si magnifiquement. J'ai hâte maintenant de le découvrir !
Écrit par : Titine | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireAh mais c'est terrible, je veux le lire aussi !!! Je n'aurai plus assez de mes nuits...
Écrit par : Stephie | 16/09/2010
Répondre à ce commentaireTu prêches une convertie ! Il ne me reste qu'à lire tout d'abord Le pont des soupirs ! Mais comment réussir à lire tout ça ???
Écrit par : kathel | 16/09/2010
Répondre à ce commentaire@ merci à tous, mais lisez le roman !
@ zeta : merci en particulier, je suis très touchée.
Écrit par : amanda | 17/09/2010
Répondre à ce commentaireça doit devenir redondant à la fin... tu en parles si bien, je cours l'acheter...
Écrit par : Theoma | 17/09/2010
Répondre à ce commentaireJe redemande toujours du Russo, même si je n'ai pas encore lu tous ses livres ! C'est pour moi un conteur hors pair et il est donc forcément noté ;)
Écrit par : Joelle | 17/09/2010
Répondre à ce commentaireJ'ai lu en diagonale car je suis en train de le lire ! :D
Écrit par : Leiloona | 17/09/2010
Répondre à ce commentaireJ'adore cet auteur et, c'est encore un que j'ai délaissé ces derniers temps !
Écrit par : Manu | 18/09/2010
Répondre à ce commentaireJamais lu cet auteur. C'est celui-ci que tu conseillerais pour le découvrir ?
Écrit par : Brize | 18/09/2010
Répondre à ce commentaireJ'aime énormément Russo et j'avais "spotté" celui-ci en VO. Sauf qu'en bonne paresseuse que je suis, j'attendais vos avis avant de l'acheter!
Écrit par : Karine:) | 19/09/2010
Répondre à ce commentaireje ne connais pas cet auteur mais ton billet donne très envie de le découvrir
Écrit par : zorane | 19/09/2010
Répondre à ce commentaire@ brize : c'est seulement mon deuxième Russo, après le Pont des soupirs. Je préfère celui-ci.. je pense que Cuné saurait mieux que toi me conseiller, mais il me semble que Le déclin de l'empire Whiting" fait l'unanimité.
Écrit par : amanda | 19/09/2010
Répondre à ce commentaireJe n'ai pas encore lu ce dernier livre de Richatd Russo mais je vous conseille vivement les autres, Un homme presque parfait , vraiment génial Le déclin de l'empire Whiting , etc etc .Des personnages , des dialogues prenant
Je vais bien sur m'achter ce dernier, je suis sur de ne pas être déçu
Écrit par : murvaux | 21/09/2010
Répondre à ce commentaireje n'avais pas trop aimé "le pont des soupirs"
mais Russo est un auteur qui me plait en général
donc, je tenterai celui là !
Écrit par : odilette | 22/09/2010
Répondre à ce commentaire@ murvaux : merci pour vos conseils ! et bonne lecture, donc, pour ce dernier opus
@ odilette : je préfère celui ci au Pont des soupirs, il a donc une chance de vous plaire :)
Écrit par : amanda | 22/09/2010
Répondre à ce commentaireJe n'ai pas trop accroché non plus pour Le pont des soupirs, il y manquait quelque chose.
Mes préférés, sont Un homme presque parfait,(il y a un film d'ailleurs, pas trop mal) et l'empire Whiting
Je laisserai un commentaire après lecture de ce nouveau livre
Écrit par : murvaux | 23/09/2010
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Écrit par : Lystig | 16/09/2010
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